Selon l’étude que vient de publier Evolis, les entreprises françaises ont réduit leurs achats de robots en 2023. Comme une pause inquiétante dans la réindustrialisation. Mais des signaux rassurent sur la vitalité des startups françaises qui les… réinventent.
Parmi les innovations remarquables, la robotique tient en France une place à la fois discrète et fondamentale. Discrète car cette industrie encore peu intégrée a longtemps été synonyme ici de destruction d’emplois. Fondamentale car dans l’impitoyable compétition économique mondiale la production robotisée, dans l’industrie ou les services, voire l’agriculture, est un levier concurrentiel avéré qui améliore la productivité globale, génère de la richesse, améliore la qualité de vie au travail et augmente la qualification des personnels ainsi que leurs revenus. Elle est aussi fondamentale parce que la France figure parmi les leaders mondiaux en matière d’ingénierie créatrice dans le domaine de la robotique et de l’Intelligence artificielle associée.
Un rebond bienvenu au sortir du Covid
Alors que la majorité des pays industrialisés ou en voie de développement s’équipent massivement, la France est à la traine. Si les achats ont bondi de 37,5% entre 2020 et 2022, cela ne suffit pas à rattraper le retard. La France, en effet, dispose de cinq fois moins de robots que l’Allemagne, 2e pays au monde le mieux équipé qui en comptait 240 000 en 2020.
Et malgré un plan quinquennal arrêté en 2020, l’hexagone ne parvient pas à stimuler le recours à cette technologie. En 5 ans, de 2017 à 2022, le nombre de robots pour 10 000 employés est péniblement passé en France de 137 à 180, pendant que le n°1 mondial, la Corée du Nord, bondissait de 710 à 1012 et que l’Allemagne, n°2, passait de 322 à 415… Comment regagner en compétitivité dans ces conditions ?
Et c’est un incroyable fossé qui se creuse entre la France et ses concurrents. En 2022, la Chine a battu tous les records, achetant 290 000 nouveaux robots, loin devant le Japon (50 000) ou l’Allemagne (25 800). Et très loin devant la France qui n’en a acquis que 7380.
2023 : une réindustrialisation au point mort ?
Et ça ne semble pas s’arranger. Les derniers chiffres fournis par Evolis, groupement de 600 professionnels du secteur industriel le révèle. Publiée le 19 juin, son étude démontre que la réindustrialisation engagée en France serait en mode « pause ». Si au sortir de la crise du Covid les ventes de robots industriels se sont soudain envolées en France, passant de 5368 en 2020 à 7380 en 2022, en 2023, toujours selon Evolis, le marché de la robotique industrielle s’est brutalement contracté, de 18,4%. Avec 6022 unités, le nombre de robots livrés et installés l’an dernier a été inférieur à celui de 2021.
« Cette diminution des ventes est globalement étendue à tous les secteurs clients et à tous les types de robots. Elle est le reflet d’une industrie française moins dynamique, notamment sur le deuxième semestre 2023 ».
Source Evolis
Des raisons d’espérer, malgré tout
La réindustrialisation soutenue par les pouvoirs publics permettra-t-elle d’endiguer ce phénomène ? Beaucoup y croient et investissent dans le développement de nouveaux modèles et services assistés par des robots humanoïdes intelligents. C’est le cas par exemple de la start-up Ipsum-Tek. Forte d’une importante commande avant même d’avoir totalement finalisé son produit phare, elle prévoit de lancer, dès 2025, son premier « robot social », capable par exemple de servir le café dans les chambres d’hôtels sans se tromper. Pour financer le développement de cet « assistant » baptisé Onyro, Ipsum Tek a décidé d’ouvrir son capital au public par le biais d’une campagende financement participatif, via la plateforme Crowdcube. Objectif : lever 250 000€.
Autre acteur convaincu par les promesses de la robotique, la jeune entreprise enchanted.tools, créée en 2021 par Jérome Monceau, co-créateur des célèbres robots Nao et Pepper. De salon en événements, la startup parisienne promène son prototype : Mirokaï, un humanoïde unijambiste monté sur une sphère qui lui permet de se déplacer avec vélocité. Tel un Peter Pan, il semble sorti d’un film d’animation avec son visage-écran jaune aux grands yeux expressifs et mobiles et ses grandes oreilles pointues qui ne cessent de bouger, comme pour capter les conversations.
Directeur de la communication d’Enchanted.tools, Richard Malterre l’assure : « Mirokaï est doté de briques de conversation mais quand il n’a pas la réponse, il va la chercher sur Internet, avec l’IA de ChatGPT, par exemple, ou de Mistral ». Doté de deux bras, Mirokaï est aussi capable de transporter des objets grâce à des poignées dotées de capteurs.
« On travaille notamment avec l’AP-HP (Assistance publique – hôpitaux de Paris) où nous nous rendons pour discuter avec des médecins, des infirmières pour déterminer les services dont ils auront besoin à l’avenir, de taches que Mirokaï pourrait accomplir pour les soulager ».
Mais au-delà, Enchanted.tools prévoit déjà de déployer ses Mirokaï et Miroki dans les aéroports, les restaurants et hôtels, les maisons de retraite… pour soulager sans faillir les personnels de tâches ingrates ou répétitives. La sortie officielle de Mirokaï est prévue en 2025 au prix probable de 30 000€ pièce.
Si les entreprises françaises ont marqué une pause dans l’automatisation de leur production, les startups innovantes, elles, avancent, fortes d’un vrai savoir-faire à la française. Elles s’évertuent à anticiper des besoins nouveaux, à intégrer toujours plus d’IA, avec la conviction qu’il reste des places au soleil à prendre dans ce secteur évolutif aujourd’hui dominé par le Suisse ABB ou le japonais Kawasaki.