LEGENDE : John Hopfield, 91 ans (à gauche), et Geoffrey Hinton, 76 ans, ont été primés pour leur apport essentiel dans l’évolution de l’IA. DR/ADOBE

Quarante ans de travail et de recherche en physique appliquée à l’IA enfin récompensés ! Le prix Nobel de physique 2024 a été décerné ce mardi par la Royal Swedish Academy of Sciences à deux figures emblématiques du domaine de l’intelligence artificielle (IA) : le Britanno-canadien Geoffrey Hinton et l’Américain John Hopfield.

Ces deux chercheurs ont été récompensés pour leurs travaux pionniers dans le domaine de l’apprentissage automatique, une discipline centrale du développement des technologies d’IA modernes. Leurs découvertes, notamment sur les réseaux neuronaux artificiels, ont radicalement transformé le paysage scientifique et technologique, apportant des avancées majeures dans des secteurs aussi divers que la reconnaissance faciale ou d’objets, la traduction automatique, et bien d’autres encore.

« Ils ont utilisé des concepts fondamentaux de la physique statistique pour concevoir des réseaux de neurones artificiels qui fonctionnent comme des mémoires associatives et trouvent des modèles dans de grands ensembles de données« , a précisé Ellen Moons, présidente du comité Nobel de physique en dévoilant le nom des lauréats de la prestigieuse distinction.

John Hopfield où l’apport de la mémoire associative

John Hopfield, aujourd’hui âgé de 91 ans et professeur à l’université de Princeton, est à l’origine du « réseau de Hopfield« , un modèle de mémoire associative. Ce réseau permet d’analyser, de stocker et de reconstruire des images ou d’autres types de données, simulant ainsi des mécanismes de mémoire du cerveau humain. Cette innovation a marqué un tournant dans le développement des systèmes de traitement de données et d’images, en offrant un cadre pour la manipulation de grandes quantités d’informations de manière associative, un principe qui se retrouve dans de nombreuses applications modernes de l’IA.

Geoffrey Hinton ; la statistique physique pour identifier des données dans les images

Geoffrey Hinton, 76 ans, souvent considéré comme l’un des pères fondateurs de l’intelligence artificielle, a lui aussi joué un rôle clé dans le développement des réseaux neuronaux. Partant des travaux de Hopfield, il a développé une nouvelle approche baptisée « machine de Boltzmann« . Ce modèle utilise des concepts de physique statistique pour identifier de manière autonome des caractéristiques importantes dans des ensembles de données complexes. C’est grâce à cette approche que des algorithmes capables de reconnaître des objets dans des images ou de réaliser des traductions automatiques ont vu le jour.

Ces avancées, qui sont aujourd’hui omniprésentes dans le paysage technologique, ont été rendues possibles grâce aux outils développés par Hinton et Hopfield… dans les années 1980.

Une révolution majeure pour l’intelligence artificielle

Les travaux des deux lauréats reposent sur des principes fondamentaux de la physique – en particulier la physique statistique – appliqués aux réseaux neuronaux artificiels. Ces réseaux, inspirés du fonctionnement des neurones du cerveau humain, permettent aux machines d’apprendre à partir de données, d’identifier des motifs et de prendre des décisions. C’est cette capacité d’apprentissage automatique qui a ouvert la voie à des applications concrètes dans des domaines aussi variés que la physique des particules, l’astrophysique, et la science des matériaux. Aujourd’hui, ces technologies sont devenues partie intégrante de notre quotidien, avec des systèmes comme la reconnaissance vocale et faciale, les moteurs de recommandation sur les plateformes numériques, ou encore les assistants personnels virtuels.

L’apprentissage automatique, une promesse et des risques

La présidente du comité Nobel, Ellen Moons, a profité de la remise du prix pour souligner que les modèles développés par les lauréats « sont désormais au cœur de nombreux aspects de notre vie quotidienne », tout en rappelant que leur potentiel va bien au-delà des applications actuelles. Elle a également averti que l’apprentissage automatique, bien qu’apportant d’immenses avantages, soulève aussi des préoccupations quant à l’avenir de l’humanité qui dispose dorénavant d’un nouvel outil puissant qu’elle se doit de « choisir d’utiliser à de bonnes fins ».

Enjeux éthiques

Décernés depuis 1901, les prix Nobel distinguent les personnes qui ont oeuvré pour « le bienfait de l’humanité », conformément au vœu de leur créateur, l’inventeur suédois Alfred Nobel à qui l’on doit notamment le bâton de dynamite, dont l’usage initial a été détourné pour en faire une arme.

C’est sans doute cette esprit originel primant la vertu et cette histoire de détournement d’un progrès qui ont poussé le jury dans le choix du duo de chercheurs. Car l’intrusion de l’IA dans notre quotidien, son potentiel mais aussi ses risques imposent d’ouvrir publiquement le débat. « L’apprentissage automatique présente d’énormes avantages » a ainsi admis la présidente du jury Nobel avant d’ajouter « Son développement rapide a également suscité des inquiétudes quant à notre avenir« , a-t-elle ajouté.

Le risque d’une « prise de contrôle » de l’IA

Geoffrey Hinton, bien qu’enthousiasmé par les progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle, a d’ailleurs déjà exprimé ses inquiétudes quant aux conséquences à long terme de cette technologie. Lorsqu’il a annoncé son départ de Google en mai 2023, Hinton a notammeent alerté sur les risques d’un développement non maîtrisé de l’IA, craignant que des systèmes plus intelligents que les humains puissent finir par « prendre le contrôle ». Malgré cela, il reste convaincu de l’importance de ses recherches et de leur impact positif, reconnaissant être un utilisateur assidu de l’IA, et particulièrement de ChatGPT, mais tout en restant vigilant sur leurs répercussions. Créateur de ChatGPT, OpenAI n’ambitionne-t-il pas, d’ailleurs, de créer une nouvelle étape dans le développement de l’IA, celle d’une IA surhumaine ?…

Appel à la responsabilité collective

L’évocation de ces préoccupations à l’occasion d’un événement comme le Nobel met en lumière les dilemmes éthiques auxquels la société est confrontée alors que les outils d’IA deviennent de plus en plus puissants. Le comité Nobel a insisté sur cette responsabilité collective, soulignant que la façon dont seront exploités à l’avenir les travaux tout juste nobelisés dépendra « de la manière dont nous, les humains, choisiront d’utiliser ces outils incroyablement puissants« . Elle dépendra aussi des décisions prises – ou pas – pour en réguler l’usage.

Pour l’heure, gageons que les travaux de Hinton et Hopfield s’inscrivent pleinement dans cette tradition vertueuse du prix Nobel. Grâce à eux, l’intelligence artificielle est devenue non seulement un champ d’étude incontournable, mais aussi, ne l’oublions pas, un outil au service de l’innovation et du progrès.