Et maintenant l’homme ! Le 29 janvier 2024, lors d’une conférence très attendue, Elon Musk, patron fondateur entre autres de Tesla et SpaceX, a dévoilé une nouvelle étape cruciale dans le développement de Neuralink, son entreprise de neurotechnologie. Après des essais jugés satisfaisants sur des singes et cochons, le laboratoire américain est parvenu à implanter sa première puce communicante sur un humain.

Fondée en 2016 à San Francisco, en Californie, Neuralink a pour objectif ambitieux de fusionner l’intelligence artificielle avec le cerveau humain pour améliorer les capacités cognitives et traiter diverses défaillances neurologiques. Sept ans seulement après sa création, le 31 juillet 2023, son fondateur annonçait la pose réussie d’un implant cérébral chez l’animal. A la vitesse d’une fusée, Elon Musk obtient alors le feu vert de l’administration pour passer aux essais cliniques chez l’homme, et lève en même temps 385 millions de dollars pour les financer.

Permettre une communication cerveau-machine bidirectionnelle

Connu pour son empressement à concrétiser ses projets, six mois seulement après l’autorisation délivrée par les autorités américaines, le 29 janvier 2024 Elon Musk annonce cette fois, sur la plateforme X, la pose réussie d’un premier implant cérébral chez un être humain par Neuralink. Il assure alors que le patient va bien, et que les premiers tests de connectivité interactive sont « prometteurs ».

L’implant, baptisé Neuralink Neural Lace, ne mesure que 23 millimètres de diamètre pour 8 millimètres d’épaisseur.

Placé sous la peau, il a vocation à enregistrer l’activité neuronale, « à contrôler votre téléphone et votre ordinateur, et à travers eux, à peu près n’importe quel appareil, juste par la pensée ».

Elon Musk

Performance rendue possible grâce à 1 024 électrodes réparties sur 64 fils plus fin qu’un cheveu qui constituent l’implant. Cette puce électronique permet également une communication bidirectionnelle haute bande passante entre le cerveau et des appareils électroniques intégrant de l’Intelligence artificielle.

Des applications vertueuses, ou pas.

Ainsi commence à se concrétiser une autre des visions futuristes de Musk, celle d’une symbiose entre l’être humain et la machine pour permettre notamment de réparer l’homme : perte du langage, de la vue, de la motricité… Bref, le point de départ de l’homme technologiquement augmenté.

L’armée américaine, elle, s’est déjà emparée du potentiel de ces implants cérébraux qui pourraient lui permettre, dans un avenir plus ou moins lointain, de « télécharger » des compétences dans le cerveau des militaires pour accroitre leurs compétences et leur efficacité sur le terrain. Déjà vu dans le film Matrix…

A terme, Musk assure vouloir lutter contre… les risques de l’IA

Les implications de cette avancée sont vastes. Sur le site internet de Neuralink, tout est dit en page d’accueil des objectifs de l’entreprise fondée par Musk :

« Notre objectif : créer une interface cérébrale généralisée pour redonner de l’autonomie à ceux dont les besoins médicaux ne sont pas satisfaits aujourd’hui et libérer le potentiel humain de demain ».

Neuralink

En plus de traiter les maladies neurologiques, Neuralink ouvre la voie à des possibilités d’amélioration cognitive sans précédent. Les applications potentielles évoquées par la société de San Francisco incluent l’accélération de l’apprentissage, l’amélioration de la mémoire et même l’augmentation des capacités intellectuelles.

Au-delà des applications médicales, Elon Musk ambitionne également de mettre à la disposition de tous son futur implant afin de permettre à chacun de mieux communiquer avec les ordinateurs et de contenir, selon lui, le « risque pour notre civilisation » que fait peser l’intelligence artificielle. Une déclaration surprenante de la part de celui qui veut concurrencer ChatGPT avec son IA conversationnelle Grok, dévoilée en novembre 2023.

Enquête en court, risques de manipulations et d’inégalités cognitives

Cependant, malgré les espoirs suscités, des voix prudentes d’experts, chercheurs et philosophes se sont rapidement manifestées dans la foulée de l’annonce du 31 janvier 2024. Certains mettent en garde contre les risques de manipulation de la pensée et de la vie privée. D’autres évoquent les dangers potentiels d’« une société où seuls les individus équipés d’implants auraient un avantage cognitif, créant ainsi des inégalités sociétales importantes ».

Parallèlement, l’agence Reuters a révélé en décembre 2023 l’ouverture d’une enquête à l’encontre de Neuralink par l’inspecteur général du ministère de l’Agriculture pour violation de la loi sur la protection des animaux. Des collaborateurs de Neurolink se seraient plaints d’une exploitation excessive des animaux lors d’essais d’implants. Entre 2018 et 2022, 1500 cochons, singes et autres animaux auraient ainsi été sacrifiés sur l’autel de l’homme augmenté, selon Reuters.

Une indispensable réflexion

L’étape annoncée par Elon Musk suscite, tout comme l’arrivée de ChatGPT et de l’IA dans notre quotidien, à la fois des espoirs et des craintes. Ces espoirs de guérison, d’augmentation de la productivité et d’améliorations cognitives apparaissent ainsi déjà comme les nouveaux défis sociétaux, philosophiques et déontologiques auxquels il faudra répondre rapidement afin de garantir que ces innovations de rupture servent au mieux l’humanité dans son ensemble.

COMPRENDRE

L’implant cérébral, déjà 25 ans de recherche dans le monde

L’idée d’implanter des puces ou capteurs cérébraux pour améliorer les fonctions cognitives ou mécaniques chez l’homme et en faire, comme disent certains, un « homme augmenté », ne remontent pas à la création de Neuralink. Voici pour mémoire, quelques dates marquantes :

Années 80 : Début des expérimentations sur implants cérébraux chez l’animal par des chercheurs en neurosciences, notamment en France et aux États-Unis.

Années 90 : Premières tentatives humaines pour traiter des troubles neurologiques, menées par des chirurgiens spécialisés dans divers pays, y compris en France.

Années 2000 : Progrès dans la miniaturisation des implants et l’interface cerveau-machine par des ingénieurs en électronique et des neuroscientifiques, avec des contributions de chercheurs français et d’autres pays.

Années 2010 : Émergence des neuroprothèses pour restaurer les fonctions sensorielles, développées par des équipes multidisciplinaires de chercheurs et d’ingénieurs, incluant des collaborations avec des institutions françaises. 2019 : l’équipe d’Edward Chang, de l’Université de Californie, présente les résultats d’une étude suite à la pose d’un implant sur la matière corticale d’une patiente incapable de parler depuis un accident cérébral. L’interface cerveau-machine créée a permis de reproduire la pensée à raison de 75 mots par minutes, avec 25% d’erreurs seulement. 2019 encore, en France, des chercheurs de l’institut grenoblois Clinatec présentent un implant qui, une fois posé permet à une personne tétraplégique d’animer un exosquelette et de remuer les bras ou de se déplacer.

Années 2020 : Mars 2022, des chercheurs en neurochirurgie de l’université américaine de Stanford pose sur une patiente atteinte de la maladie de Charcot et privée de la parole un implant cérébral qui permet de reproduire synthétiquement la parole grâce à une interface cerveau-machine basée sur des algorythmes, à raison de 65 mots/mn**.**

Janvier 2024 : Annonce de la pose du premier implant cérébral chez l’homme par Neuralink, entreprise fondée par Elon Musk et une équipe de chercheurs en neurotechnologie, principalement basée aux États-Unis, mais avec des collaborations internationales, dont certaines impliquant des chercheurs français.