Comment encourager le développement de l’Intelligence artificielle tout en maitrisant ses effets ? Comment réguler les Intelligences artificielles dont l’expansion inquiète autant qu’elle séduit voire fascine ? Vastes et délicats sujets sur lesquels s’est penché l’ Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques -OPECST-, saisi en juillet 2023 par les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Intitulé « ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives de l’intelligence artificielle », le rapport de l’OPECST a été présenté ce 4 décembre par trois rapporteurs, Alexandre Sabatou, Patrick Chaize et Corinne Narassiguin (*) avec à la clé 18 préconisations, dont 5 à soutenir dans le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA qui se tiendra à Paris les 10 et 11 février 2025.

Légende : De gauche à droite, Alexandre Sabatou, sénateur de l’Oise (RN), Patrick Chaize, sénateur de l’Ain (Les Républicains), et Corinne Narassiguin, sénatrice de Seine-Saint-Denis. (PS), ont présenté le 4 décembre les conclusions de leur rapport sur l’IA.( Photo Sénat)

Ambitieux, ce rapport est le fruit d’un important travail d’investigation auprès des meilleurs experts mondiaux du sujet. « Les rapporteurs ont étudié les différents modèles d’IA et le détail de leur fonctionnement, identifié les enjeux politiques, économiques, sociétaux, culturels et scientifiques qu’ils soulèvent, comparé la stratégie nationale française en IA à près de 20 autres stratégies, six dans l’Union européenne et onze dans le reste du monde, et analysé une dizaine de projets de gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle », ont expliqué les rapporteurs lors de la présentation de leur travail à la presse.

18 recommandations, dont 5 essentielles

Depuis 2015, l’intelligence artificielle (IA) connaît des avancées majeures, notamment avec le développement des modèles basés sur le deep learning, comme GPT-3 et GPT-4, et des outils génératifs (images, vidéos, textes). Ces innovations ont bouleversé des secteurs tels que la santé, les transports et même la création, avec à chaque fois l’émergence d’avantages et d’inconvénients. La régulation et l’éthique sont donc indispensables face à des défis liés à la transparence, la souveraineté des données et les impacts socio-économiques. C’est dans ce contexte que les rapporteurs ont évoqué 18 pistes de régulation dont 5 sont jugés prioritaires et doivent absolument, selon les rapporteurs, être soutenues à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IAqui se tiendra donc à Paris en février 2025.

Anticiper les besoins et contraintes au niveau global

Le rapport OPECST plaide pour une approche transversale, impliquant des actions au niveau mondial, européen et national. L’accent est mis sur la gouvernance, la régulation et l’éducation, tout en insistant sur l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe. Une coordination étroite entre États, parlementaires, et acteurs économiques est vivement recommandée et doit permettre de relever les défis posés par l’IA, tout en maximisant ses bénéfices sociétaux et technologiques. En résumé, favoriser le développement de l’IA tout en gardant le contrôle…

Pour aller à l’essentiel, voici les mesures les plus marquantes détaillées par les rapporteurs lors de la présentation du rapport à la presse :

« L’IA ne doit pas être cantonnée à une vision axée sur les risques », insiste le rapport. Une déclaration solennelle des participants devrait élargir les thématiques du sommet pour inclure les thèmes suivants dans la réflexion : 

   – Éducation et culture : promouvoir l’apprentissage et la compréhension des technologies IA

   – Souveraineté numérique et intérêt général : garantir l’autonomie technologique et la maîtrise des infrastructures stratégiques. 

Proposer que l’ONU supervise la gouvernance mondiale de l’IA pour éviter la prolifération d’initiatives fragmentées. 

S’inspirer des approches multidimensionnelles de l’OCDE et de l’UE pour réguler l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA. 

Impliquer des pays partageant une vision commune (France, Allemagne, Italie, Espagne) pour renforcer la collaboration et l’innovation dans ce domaine. 

Préparer la France au défi mondial de l’IA

Concernant la France en particulier, les rapporteurs ont détaillé 13 mesures à mettre en place pour à la fois développer l’IA et permettre à tous les Français, particuliers et professionnels, de se l’approprier sans crainte :

Viser l’indépendance technologique, en coordonnant efforts nationaux et européens pour constituer une chaîne de valeur complète. 

Fixer des objectifs clairs, des moyens concrets et des mécanismes de suivi pour rendre la stratégie nationale plus opérationnelle. 

Impliquer plusieurs ministères dans une coordination centralisée pour piloter efficacement les initiatives. 

– Scolaires, actifs et grand public : lancer des programmes d’apprentissage inspirés par des modèles comme celui de la Finlande. 

– Formation permanente : accompagner les mutations du travail liées à l’IA générative. 

Impliquer les entreprises et les partenaires sociaux dans des discussions tripartites pour anticiper les impacts sur l’emploi et réduire les résistances.

Inspiré par des initiatives internationales (NL AI Coalition), coordonner acteurs publics et privés à l’échelle régionale et nationale. 

Renouveler des initiatives comme « Confiance.ai » pour garantir une adoption sécurisée et éthique dans des secteurs critiques. 

Encourager la recherche transdisciplinaire, en intégrant divers paradigmes (IA symbolique, connexionniste) et technologies innovantes (Mixture of Experts, Trees of Thoughts). 

Renforcer la participation française dans les comités internationaux de standardisation pour défendre des intérêts nationaux et européens. 

Créer des bases de données francophones pour contrer l’uniformisation culturelle induite par des modèles principalement anglo-saxons. 

Adapter le droit d’auteur aux spécificités des modèles génératifs, protégeant à la fois les données d’entraînement et les créateurs. 

Assurer une évaluation régulière par cet organisme, à la croisée des mondes scientifique et politique. 

Un programme ambitieux, un grand écart aussi entre les tenants d’une non régulation de l’IA et ceux qui, au contraire, veulent brider son développement pour mieux en maitriser les effets. Sans compter Donald Trump qui a déclaré fin novembre qu’il nommera à ses côtés un « Tsar de l’Intelligence artificielle » que l’on pressent extrêmement libéral…

Cette légitime liste de recommandations dressée par l’OPECST nécessitera probablement des mises à jour mais elle apparait déjà comme une base sérieuse de réflexion pour le Sommet sur l’IA de février prochain et un encouragement à se lancer rapidement dans la course de façon constructive.

* Alexandre Sabatou, sénateur de l’Oise (RN), Patrick Chaize, sénateur de l’Ain (Les Républicains), et Corinne Narassiguin, sénatrice de Seine-Saint-Denis. (PS)